Notice de Sœur Marie Louise SABELLA

(1920-2001)

"Un visage radieux, un rire qui sort du cœur, des yeux pleins d'une bonté foncière et d'une paix intérieure, des mains osseuses mais toujours tendues et ouvertes vers les autres, un corps frêle, d'apparence même fragile mais plein d'un dynamisme extraordinaire qui gagnait tous ceux qui l'entouraient, telle était sœur Louise, cette grande dame qui a marqué vie d'enfant, de jeune et de femme adulte. "

Peut-on souhaiter meilleure représentation de notre sœur SABELLA que celle-ci tracée par l'une de ses anciennes élèves au lendemain de sa mort. Tout y est: l'apparence physique fragile, la joie, la bonté et la paix dont rayonne le visage, le don de soi au service de tous que traduisent les mains tendues et ouvertes?

Marie-Louise Sabella, naît le 26 janvier 1920, de parents très chrétiens, à Alexandrie d'Egypte. C'est dans l'église paroissiale de Bakos qu'elle sera baptisée et fera sa première communion. Sa famille qui fait partie de la haute société d'Alexandrie d'autrefois, est une famille nombreuse et joyeuse dont la porte est grande ouverte à tous les proches parents et à tous ceux qui se trouvent dans la peine ou les difficultés. Elle accueillera avec la même simplicité les officiers de marine et étrangers qui, du fait de la guerre, se trouvent à Alexandrie et souffrent de l'éloignement de leur famille et du manque de nouvelles.

Au milieu de ses trois sœurs et de ses trois frères, Marie-Louise est une enfant heureuse, de caractère enjoué et ouverte à tout ce qui est beau. Elève des sœurs de Notre-Dame de Sion jusqu'après la cinquième, elle termine ses études chez les filles de la charité, à l'externat de Moharrem-Bey. Les admirateurs ne lui manquent pas mais son choix est fait: elle sera Fille de la Charité. A une cousine qui, plus tard, lui demandera : "Pourquoi n'es-tu pas entrée chez les sœurs de Sion? Elle répondra: "parce que je voulais me dévouer auprès des pauvres", dévoilant ainsi la cause profonde de sa décision. Toute sa vie sera l'illustration de ce choix.

Dieu permettra quelle fasse elle-même une certaine expérience de la pauvreté. Par suite de la guerre, son père a fait faillite, ce qui a été cause pour la famille de beaucoup de difficultés et de sacrifices. Cela lui permettra de mieux comprendre plus tard, non seulement ceux qui souffrent de pauvreté visible mais aussi ceux qui, sous des apparences de vie facile, connaissent de grosses difficultés.

En 1944, nous la retrouvons au Liban, postulante à la maison de Tripoli, d'où elle entre au séminaire de Beyrouth au mois d'Avril. Telle que nous l'avons connue, nous pouvons penser, sans crainte de nous tromper, que ce fut pour elle un temps d'approfondissement et de prières. Toute sa vie, elle vivra les recommandations faites par sœur Douzon, la directrice du séminaire: "II faut que les pauvres comprennent combien vous les aimez en Dieu. Partagez leurs peines, leurs souffrances et si parfois vous vous montrez ferme qu'ils sachent que c'est uniquement par devoir. Par la bonté, vous gagnerez les âmes. Nos premiers pauvres, ce sont les personnes de notre entourage, les employés, les enfants ... qu'Ils trouvent toujours en nous une mère prête à les accueillir, à leur rendre service ... "

Son premier placement la renvoie en Egypte à l'exception de quatre mois passés au Liban pour raison de santé, elle y vivra toute sa vie de communauté. La voilà donc au Caire, au collège saint Vincent de Paul de Helmieh. Elle va y passer douze ans. La sœur servante est alors sœur Joliot et sous sa ferme direction le collège est en plein essor. En 1946, Sœur Joliot écrira: "le collège doit refuser des élèves, les classes sont surchargées." Sœur Sabella va profiter au maximum de la formation sérieuse que sœur Joliot donnait aux jeunes sœurs. Elle les réunissait tous les quinze jours dans son bureau pour leur expliquer les Saintes Règles, leur parlait simplement, les invitant à faire de même et à dire ce qu'elles pensaient.

Son exemple était encore plus parlant. Très attentionnée à ses compagnes, à leur santé spirituelle et à leur santé physique, elle ne cessait d'être pour elles un modèle vivant de la vraie Fille de la Charité. Pratiquant personnellement une pauvreté exemplaire, elle était aussi très exigeante dans le domaine de la charité dont elle donnait quotidiennement l'exemple. Une de ses compagnes dira: "je ne l'ai jamais entendu parler mal de qui que ce soit, même de l'élève la moins douée." Avec cela, sachant aussi bien reconnaître ses torts que relancer l'animation joyeuse d'une récréation.

Sœur Marie-Louise est donc à bonne école. Sa formation d'enseignante est également en bonnes mains car Sœur Joliot est une pédagogue hors pair qui sait mettre à la portée de ses compagnes sa longue expérience personnelle.

Voilà donc sœur Sabella bien armée pour vivre en profondeur à la fois sa vocation de Fille de la Charité et sa mission d'enseignante. Elle s'y donne à cœur joie. Les élèves apprécient vite, non seulement son enseignement mais aussi la personnalité de leur maîtresse toujours' pleine d'entrain et jamais à court d'idées et d'activités. Ces idées dont, au dire d'une de ses anciennes compagnes, elles « bouillonnaient ». Ces élèves ne sont pas les seuls à en profiter.

Ecoutons le témoignage suivant: "aux âmes vaillantes, elle communique sa joie et sa foi dans les jeunes, participant à toutes les activités de ce mouvement, tant ludiques que spirituelles, et riant aux éclats, emportée par le mouvement d'une ronde trop rapide, et irradiant avec ferveur et sérieux de son amour du Christ et de sa Mère."

Sœur Marie-Louise s'occupe aussi des plus jeunes Enfants de Marie : Soirées, longues promenades, séances, tout lui est bon pour semer dans les cœurs, la joie, l'union, le souci des autres. Elle s'occupe également d'un groupe de jeunes jocistes.

Et pourtant, ces années n'ont pas apporté que de la joie à notre sœur. Elle a connu de lourdes épreuves. Dans les années 48-50, elle a perdu successivement deux de ses frères et deux de ses sœurs. Minée, par le chagrin, sa mère n'a pas survécu à tous ces deuils.

Dans les années 53-54, elle va connaître une autre souffrance, souffrance physique, cette fois-ci. Elle fait une poussée ganglionnaire et les examens révèlent des poumons suspects. Très anémiée, elle est condamnée à un demi-repos durant plus d'un an. C'est alors qu'elle passe quatre mois au Liban. Sœur Soviche qui l'a connue à Alexandrie durant la guerre de 40, lui écrit de Téhéran: "Je vous envoie mes vœux de santé pour que vous puissiez continuer à faire le bien pour lequel vous êtes douée. Je suis bien heureuse de savoir que vous allez mieux, que vous êtes bien raisonnable et que vous êtes soignée avec tant de sollicitude et d'affection par sœur supérieure et vos compagnes. Le repos lui redonna des forces. Sa santé reste à surveiller mais elle reprend ses activités.

Et les années passent... Il est temps de changer d'horizon. En 1956, quittant Le Caire avec sœur Marie-Louise et gagnons Alexandrie. Toute sa vie oscillera entre ces deux villes. Son changement aura sans doute eu lieu avant la rentrée des classes. Aura-t-elle connu les émotions de ses compagnes lorsqu'à la suite de la nationalisation du canal de Suez par Nasser, le collège de Helmieh fut occupé par les soldats égyptiens et que les sœurs étrangères, menacées d'expulsion, ne durent leur maintien en Egypte qu'à l'intervention du Nonce Apostolique? Si elle n'a pas vécu cette situation difficile, elle l'a du moins connue et l'on peut imaginer son inquiétude à la perspective du départ de celles avec lesquelles elle venait de vivre tant d'années heureuses.

La voici donc au collège de Moharrem-Bey. La sœur servante, Sœur Gay, lui confie les internes et durant quatre ans, Sœur Marie-Louise met à leur service tous les dons qu'avaient appréciés les élèves de Helmieh. Au nombre de ses compagnes, se trouve Sœur Andrée Haddad avec laquelle elle fera plus tard des "envolées" vers la France. Ensemble elles participeront à une retraite à L'Hay-Les-Roses. Ensemble, elles suivront les cours de l'université d'été à Paris. Ce dernier séjour sera pour toutes deux l'occasion de visiter la capitale française, d'en parcourir les rues les plus animées. Ce sera aussi l'occasion de quelques petites aventures qui, racontées par Sœur Andrée, feront la joie des récréations. Une dernière fois, sœur Sabella accompagnera Sœur Andrée en France: ce sera en 1985, lorsque celle-ci devra subir des séances de rayons dans l'espoir d'enrayer le cancer qui la ronge. Mais nous n'en sommes pas encore là ! .

En 1960, Sœur Marie-Louise retrouve sa première maison : Le Caire - Helmieh. Sœur Joliot n'est plus là pour l'accueillir. Le 19 juillet 1957, elle a rejoint le Seigneur qu'elle a tant aimé et si bien servi. Mais la Sœur servante n'est pas une inconnue pour Sœur Marie-Louise. C'est Sœur Frangeul qui a maintenant la direction de la maison et du collège dont elle connaît tous les rouages vu son expérience vieille de presque trente ans à Helmieh. Et tout marche rondement au collège où professeurs et élèves l'ont surnommée le "Général" en référence à de Gaulle. A la communauté, sa rigueur muette crée parfois un climat tendu est difficile.

Sœur Sabella est sans doute de celles qui ont su dépasser l'extérieur pour découvrir le cœur d'or qui se dissimule sous cet aspect rigide. Le fait qu'elle soit en 1965 désignée comme assistante de la maison et directrice du collège semble montrer nettement la confiance que lui témoignait Sœur Frangeul et l'entente qui régnait entre elles deux, l'une atténuant par sa douceur la sévérité de l'autre.

Ecoutons encore celles qui ont vécu leurs années scolaires à Helmieh du temps de Sœur Marie-Louise. "Responsable des Jeunesses Mariales qu'on appelait de ce temps-là : Enfants de Marie", Sœur Marie-Louise faisait grandir dans nos cœurs de jeunes l'attachement à Marie, non seulement par des paroles mais par ses exemples", écrit l'une d'elles, tandis qu'une autre relève: "en tant que directrice d'école, elle avait un regard juste qui prenait le côté du faible et revendiquait le droit des petits."

A Helmieh, à côté du collège, il y avait en ce temps-là une école gratuite qui réunissait plus de 300 enfants coptes pauvres. C'étaient les préférées de Sœur Frangeul qui n'épargnait rien pour que ces fillettes puissent plus tard gagner leur vie. Pour les anciennes de cette école, Sœur Marie-Louise avait lancé, lors de son premier séjour, un groupe de jocistes. Dans les années 1970, elle commencera un groupe de "Travailleurs Chrétiens", mouvement qui continue la J.O.C et qu'elle soutient jusqu'à ce que le mouvement soit en bonne voie de réussite.

A l'annonce de la mort de Sœur Sabella, le frère Yves du Collège de la Salle écrira: "Les frères se souviennent avec sympathie de la participation de Sœur Marie-Louise à l'animation d'équipes J.O.C."

Une autre de ses anciennes avec laquelle Sœur Sabella reste en correspondance insiste sur les liens qu'elle a su créer entre elles. D'Amérique où elle était installée, elle écrit: "Quand je parle du Collège saint Vincent et de notre éducation, mes enfants s'émerveillent de l'affection qui existe toujours entre nous les étudiantes et vous, nos chères éducatrices."

Et-elle ajoute, parlant d'une réunion d'anciennes dont elle cite les noms: "chacune a porté sa croix mais, en vraies enfants de Marie et Ames vaillantes, elles ont toutes gardé le sourire et la joie intérieure. Merci de nous avoir donné tant d'amour. Nous sommes vraiment privilégiées."

Terminons par cette prière trouvée dans son portefeuille:

Donne-nous la force d'aimer jusqu'au bout.

Seigneur
L'âge de la retraite étant venu,
Je sais que je commence une nouvelle étape de vie
Et que j'ai besoin d'un surcroit de ta force
Pour être capable d'aimer jusqu'au dernier souffle.

Seigneur
Garde mon cœur éveillé à ta seule passion
Celle de révéler, incarner et partager l'amour du Père;
Redis-moi souvent que seul l'amour est missionnaire,
Que seul l'amour libère et sauve le monde,
Que seul l'amour rend une vie d'homme féconde.

Seigneur
Fais-moi découvrir quelle est aujourd'hui mission
Puisque l'arbre de vie donne ses fruits propres à chacune des saisons.
Et qu'il n'y aura pas de limites d'âge pour aimer.
Que ton amour unifie et simplifie mon cœur.
Que ta présence soit le secret de mon bonheur.

Seigneur
Donne-moi la joie de rester au service des autres,
Ouvre-moi paisiblement au mystère de l'écoute,
De la compassion et de l'intercession,
Que partout je sois un reflet de ta bonté,
Que chacun de mes gestes disent: Dieu est gratuité.

Seigneur
Quand je n'aurais plus à te donner
Que les souffrances ou les limites de mon corps brisé
Prends-les aussi pour ta mission
Ultime gerbe pour ta moisson.


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